L'un entre en scène, l'autre la quitte.

Mon père aura toujours été pour moi, un exemple, une référence, un refuge.

Il est parti en nous montrant la voie, en nous montrant comment faire. Dignement, calmement, sereinement, chrétiennement. Sans penser à lui. Sans craindre le passage. En tentant de nous rassurer. En s'effaçant vite pour épargner notre peine et notre souffrance. En négligeant les siennes. Sacré bonhomme. Parti comme il a vécu. En gentilhomme.

Je lui dois beaucoup de ce que je suis.

En m'apprenant à démêler un fil de pêche pendant des heures il m'a appris la patience, et la valeur des choses simples.

En m`apprenant à regarder pendant des heures un bouchon flotter a la surface des eaux, il m'a appris à aimer les mystères qu`elle recèle, l'imaginaire mais aussi la réalité d`un au delà qui existe juste de l`autre côté du miroir.

En m`apprenant à bricoler pendant des heures à ses côtés sur son établi, il m'a appris l`amour du travail manuel et du travail bien fait. Il aimait d'ailleurs ce dicton hérité de son père et que je transmettrai à mon fils : « qui soigne ses chaussures aime longtemps » Et vous savez à quel point je soigne mes pieds : ils m`ont fait découvrir et aimer le monde.

En m`apprenant à ramasser pendant des heures les feuilles mortes au Canada, il m'a appris que le travail est un éternel recommencement, et appris le devoir de toujours finir ce qu`on a commencé. Et c`est un principe exigeant quand on songe à faire le tour du monde à bicyclette ou à traverser l`Afrique à pieds, un principe qui prend du temps…

Son temps, il nous l'a, nous ses quatres enfants et sa femme, entièrement consacré.

L'ai-je jamais entendu dire « j`ai envie » ? Locution égotique et hédoniste faisant souvent office de credo dans notre société du désir.

Son seul désir était notre épanouissement et notre bonheur.

En cultivant un amour fidèle et serein avec ma mère, malgré les épreuves et des tempéraments dissemblables, il m'a prouvé que cette solidité du couple était le seul réel trésor qui nous est donné, et qu'il faut le préserver a tout prix. Ne pas le brader, ne pas le dilapider, ne pas le mettre en danger. Il m'a appris que c'est la seule valeur qui monte quand toutes les autres baissent.

J`étais pour lui un mystère. Le vilain petit canard de la couvée. Pourtant il m'a toujours accompagné dans mes choix étrangers à sa rationalité.

« Je n`ai fait que mon devoir de père » m`a-t-il dit l`autre jour, alors que nous nous succédions à son chevet.

Je saurai m`en souvenir, tous les jours qu`il me reste à vivre, maintenant que je fais moi aussi partie de la famille des pères.

Il fut un père exemplaire.

Il a été emporté en six mois par la maladie de Charcot. Il était en retraite depuis trois ans et nous avait apporté une assistance logistique considérable pendant notre marche. Réglant nos problèmes administratifs, nous envoyant des pellicules et des cassettes, les faisant ensuite parvenir à notre producteur ou à Paris Match. Il faisait suivre nos divers textes et articles à de nombreux supports médias. Il avait su gagner l'estime de tous par sa rigueur et sa sobriété. Il est venu nous voir deux fois : aux chutes Victoria et en Ethiopie. C'est en sa compagnie (et celle de ma mère) que nous avons pu faire cette magnifique virée dans le nord historique du Pays : Chutes du Nil Bleu, Gondar, Simien, Axum, Tigré, Lalibela...

Je me souviendrai toujours d'une remontrance en forme de conseil qu'il me fit alors que je tournai une séquence dans Lalibela en pestant contre je ne sais plus quoi : "Ne fais rien que tu ne fasses dans la joie..."

Belle devise n'est-ce pas ?

Je vous la confie en sa mémoire. Il s'appelait Jean-François.

Bien africalement

Alexandre

Ulysse dans les bras de son parrain, contemple la flamme de son bapteme.

Quatre générations de Poussins réunis. Juillet 2007.

Mon père et ses trois Poussins, cinq jours avant sa mort.