Je ne résiste pas à la tentation de partager avec vous cette belle lettre qui prouve s'il en était besoin, les petits miracles que créent l'aventure et le simple fait de lâcher prise. C'est quand on se force à ne pas tout prévoir, que l'imprévu et donc la Providence, pourvoient de l'aventure dans nos vies.

"Bonjour, Ce mail va vous paraitre un peu étrange sans doute mais je tenais à vous remercier. Nous ne nous connaissons pas, et pourtant vous me paraissez si proches et si familiers. Un jour, il y a un peu plus d'un an environ et alors que je rejoignais en stop le lot-et-Garonne depuis la Rochelle, un monsieur très sympathique m'a pris, avec deux enfants sur le siège arrière. C'était le père de Sonia avec vos enfants. Ce jour là, c'était la première journée de stop de ma vie, j'étais partie à l'improviste, sans plans, ne résistant plus à l'appel de la route, ne sachant plus respirer, je fuyais l'étouffement au bord des départementales.

Votre père n'allait pas vraiment dans une direction qui m'arrangeait mais sa conversation était si intéressante que cela m'importait peu. Il me parla de vos aventures, et je me promis en notant des références sur mon carnet de me renseigner. Ce soir là, je dormis à la belle étoile dans un pré, l'impression que la vie commençait, que tout était possible. La liberté me grisait pour la première fois en 19 ans. Je n'ai pas lu vos livres, ma bourse ne me le permettant pas. J'ai souri en tombant sur vos noms sur les étalages de la fnac quelques semaines plus tard, je trouvais que c'était marrant comme coïncidence. Je suis partie en Australie vagabonder quelques mois, j'ai rencontré l'homme de ma vie, je l'ai fui chez moi en Amérique du sud parce que tout cela était trop effrayant. Et puis il y a quelques jours, après de longues discussions parfois douloureuses, toujours intenses, avec cet homme, je me retrouve en face de la décision qui peut changer ma vie, comme toutes les décisions, mais celle-là est particulièrement décisive: choisir entre la sécurité d'un emploi tout juste trouvé, ennuyeux mais sûr, ou le non-sens que ça serait de tout quitter avec 1000€ en poche en Asie, le rejoindre et finir ce tour du monde en stop commencé en Australie. Je suis perdue, sachant au fond que l'argent et le confort ne remplaceront jamais le bonheur et l'amour mais terrorisée par ce choix. Il m'écrit au détour d'une phrase "Je veux faire les choses les plus folles avec toi, parce qu'avec toi tout me semble faisable, allons-y, traversons l'Afrique à pied, escaladons l'Himalaya sur les mains, le monde est merveilleux!". Et je souris, parce que je sais que traverser l'Afrique à pied, il n'est pas le premier fou à y penser. Dans le métro parisien, au milieu des crissements des machines, des odeurs d'aisselles et des regards vides, la réflexion me semble plus simple. Alors j'erre pendant plusieurs heures, sans but, changeant de ligne sans but précis, cherchant des réponses dans les entrailles crasseuses de Paris. Et là vient ce qui est pour moi, malgré le caractère ridicule que cela peut avoir, un signe. à Père-Lachaise je prend la ligne 2, pour le plaisir puéril et inexplicable de passer par l'arrêt Ménilmontant, nom magique. Et dans cette rame de métro où je grimpe, un livre sur une banquette usée. Le votre, "africa trek". Ce livre je le connais pour l'avoir feuilleté souvent dans les librairies, m'accordant quelques pages de rêves sur vos pas, sentant le sable crisser à travers le papier, me rappellant que tout est possible. Je ne crois pas en la religion, mais je pense que toute chose arrive pour une bonne raison, tous les hasards ont une signification. Vous avez été mon hasard. Nous n'avons rien en commun mais cependant à trois reprises vous avez croisés ma vie et au final aidé à y voir plus clair. Ce que vous faites de vos vies, le message que vous transmettez, c'est cela que je veux, et pas un travail ennuyeux, un petit confort mesquin, un gâchis. J'ignore encore tout de la suite de ma vie, comment vagabonder sans un sou entre autre, comment gagner de l'argent en voyageant, mais je n'ai plus peur, je trouverais, j'ai 21 ans, et la vie est si merveilleuse . Et la dernière pichenette qui me manquait pour effacer cette trouille paralysante, c'est votre bouquin apparu sur un siège de métro qui me l'a donné. Du fond du cœur, merci. Mes plus chères pensées à vous et à vos charmants enfants, ainsi qu'à votre père pour un bout de route entre Avignon et Périgueux (ou quelque part par là...)".

M.L.

Imaginez notre bonheur à recevoir ce genre de lettres ! Et pour paraphraser le père Ceyrac qui s'est éteint hier à l'âge vénérable de 98 ans après avoir changé, une vie durant la face du monde qui l'entourait : "Tout ce qui n'est pas donné est perdu !"

si vous voulez en savoir plus : père Ceyrac